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Interdiction des thermiques en 2035 : un accord “historique”, mais pas si radical

La réglementation fraîchement adoptée par l’Europe, qui promet la fin de la vente des voitures thermiques d’ici 2035, nécessitera encore de nombreuses négociations et des adaptations structurelles de la part des 27 pour être effective.

L’annonce avait été faite depuis longtemps, mais elle a été définitivement votée mardi 14 février par les eurodéputés. Le Parlement a entériné la réglementation censée mettre fin à la vente des voitures et camionnettes thermiques et hybrides neuves dès 2035. La mesure fait partie du plan “Fitfor55”, en référence à l’objectif européen visant à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030. Le but de cette nouvelle réglementation est donc d’atteindre de réduire de 100% les émissions de CO2 émises par le secteur automobile d’ici 12 ans, puisque l’automobile, premier mode de déplacement des Européens, représente environ 15% des émissions de C02 et continent. L’”accord historique” adopté par les 27 est en théorie gravé dans le marbre, mais il reste en pratique de nombreux obstacles à sa mise en œuvre dans des délais aussi courts, et la promesse d’une échéance si catégorique pourrait être déceptive.

Clause de revoyure et véhicules hybrides : une échéance modulable

À commencer par la “clause de révision” que contient l’accord des eurodéputés. En 2026, la Commission pourra se replonger dans le texte, et amender les objectifs fixés « en tenant compte des évolutions technologiques » du secteur européen. Cela concerne notamment la possibilité de continuer à fabriquer des voitures hybrides rechargeables, à la fois thermiques et électriques après 2035. Cette révision pourrait aussi ouvrir la porte à d’éventuelles technologies alternatives comme les “e-carburants” c’est-à-dire les carburants verts ou l’hydrogène. 

Le calendrier comme les conditions peuvent donc encore évoluer. Plusieurs acteurs politiques se prononcent déjà pour la possibilité de repousser l’échéance de 2035, en particulier au sein du Parti populaire européen, majoritaire au Parlement. En octobre dernier, le commissaire européen chargé du Marché Intérieur Thierry Breton soulignait ainsi dans un entretien accordé aux Echos que “la généralisation en 2035 des véhicules électriques constitue une énorme transition à la fois pour l’industrie, les consommateurs, les employés et tout l’écosystème automobile, y compris des milliers de PME. C’est certainement la plus forte transformation industrielle qu’ait connue l’Union européenne ». L’ancien ministre français avait par ailleurs annoncé “la création d’un groupe de travail” pour préparer l’échéance de 2026” et celle de 2030. 

Un premier jalon est effectivement fixé à la fin de la décennie, qui stipule que l’industrie automobile devra déjà avoir baissé ses émissions de CO₂ de 55 % pour les voitures neuves et de 50 % sur les camionnettes à cette date. La fin du bonus écologique octroyé aux constructeurs automobiles pour les véhicules à émissions nulles et nulle est aussi fixée à 2030. 

De la difficulté de sanctionner les frondeurs

La France elle-même temporise l’échéance de 2035. En novembre 2022, le ministre des Transports Clément Beaune s’inquiétait sur le plateau de LCI du manque  d’accessibilité des voitures électriques pour les ménages Français. Car si de nombreux constructeurs français et européen ont déjà annoncé le passage au tout électrique d’ici 2035, lé développement de la filière ne permet toujours pas de faire baisser les prix de leurs véhicules électriques. Sans avancée sur ce point, ce sont les filières étrangères non restreintes sur la production de thermiques, notamment la Chine, qui pourraient alors se saisir du marché européen. 

Pour l’instant néanmoins, aucun mécanisme réellement contraignant n’existe dans le règlement des 27 pour empêcher les constructeurs européens qui le décideraient de continuer à produire des véhicules thermiques après 2035. Selon le texte final de “Fitfor55”, “les constructeurs peuvent continuer à mettre sur le marché des véhicules à moteur thermique, mais s’ils dépassent leur objectif d’émissions une année donnée, ils doivent payer une prime de 95 € par gramme de CO2/km au-delà de l’objectif par véhicule immatriculé”, explique la Commission européenne sur son site. En clair, les constructeurs qui le désirent et qui en ont les moyens pourront continuer de vendre des voitures thermiques en payant les amendes C02 de l’UE. Mais “avec les nouveaux objectifs convenus, les véhicules à zéro émission finiront par devenir moins chers que les véhicules fonctionnant aux carburants fossiles” lors de leur mise sur le marché, espère la Commission. 

Quand la planification et les infrastructures font défaut

Malgré son optimisme, ni l’Europe, ni la France n’ont annoncé de plan de fin de circulation des voitures thermiques. Des millions d’entre elles pourraient encore être immatriculées dans les années à venir. En France pourtant, les Zones à Faibles Émissions (ZFE) devraient durcir leurs réglementations dans 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici 2025, rendant de plus en plus difficile la circulation des voitures les plus polluantes, qui peinent d’ores et déjà à se vendre sur le marché de l’occasion. 

Alors que la transition vers les véhicules électriques est brandie par l’Europe, aucun pays ne peut non plus se targuer d’être doté d’un réseau de transports en commun suffisamment bien huilé et accessible logistiquement et financièrement pour absorber un afflux considérablement plus important de voyageurs. La voiture électrique, qui possède aujourd’hui une autonomie moindre et un temps de recharge plus long qu’un véhicule thermique, devrait effectivement participer à modifier notre rapport à la mobilité spontanée et à la distance, et forcer la population à se reposer davantage sur les transports en commun. Or 2023 en France, les tarifs de la SNCF vont encore augmenter de 5% en moyenne à cause de la hausse du prix de l’électricité. Selon l’Insee, le prix des billets avait déjà bondi de plus de 14% entre avril 2021 et avril 2022.

L’angle de mort des poids lourds et des transports en commun

Quelques heures après que Bruxelles ait entériné l’accord concernant les voitures thermiques et les utilitaires légers, la Commission des 27 dévoilait ce mardi 14 février ses propositions pour encadrer le fret d’entreprises composé de véhicules lourds, comme les camions ou les autobus. Ces derniers génèrent environ 6% des émissions de gaz à effets de serre de l’Union européenne. Selon le texte qui sera négocié plus tard entre États au Parlement, pour les poids lourds vendus à partir de 2030, les émissions devront être réduites d’au moins 45% « en moyenne » par rapport aux niveaux de 2019. Puis sabrées de 65% à partir de 2035, et de 90% à partir de 2040. Des exemptions sont prévues pour les véhicules de la police, des pompiers, de l’armée ou encore les ambulances. Les nouveaux bus mis en service dans les villes européennes devront aussi être « zéro émission », si le texte est accepté. 
« Pour atteindre nos objectifs climatiques, toutes les parties du secteur des transports doivent contribuer activement », de sorte qu’en 2050, « la quasi-totalité des véhicules circulant sur nos routes soient zéro émission », a ainsi souligné Frans Timmermans, vice-président de la Commission. L’objectif 2030 « signifie qu’il faudra plus de 400 000 camions zéro émission sur les routes, avec 50 000 points de chargement publics adaptés aux camions opérationnels d’ici sept ans (…) sans compter quelque 700 stations de recharge d’hydrogène », estime l‘Association des constructeurs européens automobiles (ACEA) auprès de l’AFP. Alors que les infrastructures et solutions de propulsions vertes dédiées aux poids lourds sont actuellement quasiment inexistantes, le défi à relever est énorme.