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L’autopartage public de véhicules électriques est-il une solution viable ?

Alors que Renault s’est lancé le défi d’équiper un village de vingt-cinq habitants avec onze ZOE, est-il possible que l’autopartage de véhicules électriques permette de concilier mobilité douce et ruralité ?

Électrifier la mobilité d’un petit – c’est le mot – village d’à peine vingt-cinq âmes, enclavé en plein cœur des Pyrénées Ariégeoises et dont l’altitude varie entre 744 m et 2 168 m, en voilà une drôle d’idée. C’est pourtant à Appy – un nom peut-être pas choisi au hasard -, à vingt kilomètres de Foix, que Renault a décidé de tester sa ZOE E-Tech, micro-citadine dotée d’une batterie de 52 kWh 400 V lithium-ion, de façon grandeur nature. Débutée le 4 juillet 2020, cette expérience supposée courir jusqu’en 2023 a pour objectif, selon sa page dédiée sur le site internet de Renault, de dessiner “le monde de demain, plus vertueux et responsable dont la mobilité électrique fait partie”. Mais aussi, de prouver surtout un point qui continue aujourd’hui de faire débat : “démontrer que le passage au tout-électrique est possible pour tous”. Les vingt-cinq habitants d’Appy représentant onze foyers, c’est donc onze ZOE qui ont été distribuées gracieusement à la population du bourg. Celle-ci s’est accompagnée de la fourniture de bornes de recharges privatives dans chaque habitation, ainsi que de la construction d’une IRVE comportant deux prises en 22kW  / Alternatif triphasé, permettant une recharge complète en deux heures trente, selon les dires des habitants.

Une expérience, certes, mais Renault/Appy peut aussi – et sans doute même surtout – se voir un beau coup de projecteur sur l’autopartage et la transition écologique de la marque au losange, précurseure sur ce segment du marché parmi les constructeurs Français. Il y a en effet bientôt dix ans – et le 3 mars 2013 – que la ZOE E-tech a fait son apparition dans le parc automobile hexagonal. Force est de constater qu’en 2022, la plupart des – quelques – échos vis à vis de l’expérimentation sont positifs, tant du côté des habitants de la commune et de son administration que du côté de chez Renault. Pourtant, cette tentative d’autopartage de véhicules électriques, réalisée sur un échantillon très restreint, n’a pas été la première sur le territoire national. L’une d’entre-elles s’est même soldé sur un échec assez cuisant.

Quand l’autopartage ne suffit pas

Se revendiquant comme “Le territoire le plus avancé de France en temps d’écomobilité”, c’est en 2017 que le département des Ardennes lança son service d’autopartage de véhicules électriques, conjointement avec Virta, société de réseaux d’IRVE. Une entreprise rapidement primée par l’AVERE-France et le festival FimbACTE. Souhaitant parier sur “l’explosion de la mobilité électrique”, le département investit dans 149 bornes de recharge ainsi que dans 32 véhicules légers et 2 utilitaires, disponibles à la réservation, pour un total de 1.5 millions + 400 000 euros – financé par l’Ademe (49%) et le fonds de soutien à l’investissement local (30%). Coût pour l’usager : 6€ la première heure, 1€ par heure ensuite.

Malgré de bons chiffres la première année, l’échec va vite pointer le bout de son nez. Plusieurs raisons l’expliquent. En premier lieu, spécialité Française oblige, les démarches administratives pour réserver sa voiture, trop chronophages, notamment lors de la première utilisation. Les trappes de recharge des bornes ne s’ouvrent pas toujours, elles dont l’implantation est parfois réalisée en zone blanche, donc sans internet pour se connecter au service. Leur écran, lui, se révèle inconfortable à utiliser en plein soleil. On peut aussi pointer du doigt un nombre plutôt faible d’automobiles disponibles, toutes mises en circulation au même moment, ce qui empêche d’avoir du stock si l’une d’entre elles tombe en panne. Le département des Ardennes comportant 267 409 habitants en 2019, on tombe à une voiture pour 8350 habitants environ. Après quatre années difficiles et seulement 130 inscriptions, dont une soixantaine d’usagers actifs, le service d’autopartage ferme ses portes en début d’année 2022, et les bornes de recharge installées pour l’occasion provisoirement mises hors fonction, sans doute pour des raisons de maintenance.

Et si, finalement, l’échec de l’expérimentation ardennaise tenait principalement dans le principe même de l’expérience ? L’électrification du parc routier dans les zones rurales est évidemment nécessaire, mais l’autopartage n’est sans doute pas la solution idoine. Selon des chiffres avancés par l’Union routière de France en 2018, 50 % des ménages vivant dans des communes de moins de 5.000 habitants sont équipés de deux véhicules. Deux véhicules, permettant une relative autonomie de la famille en termes de transport dans des localités où il ne peut parfois y avoir qu’un bus par heure. Contrairement à Appy, où les ZOE étaient directement fournies aux onze foyers du village, on peut estimer qu’il est parfois complexe d’avoir à se déplacer vers une borne de recharge n’étant pas à proximité de votre domicile.

Difficile, également, de faire abandonner aux locaux leur second véhicule – d’autant plus qu’il ne s’agit parfois pas tant d’un véhicule léger personnel que d’un utilitaire ou autre 4×4, fréquents en zone rurale. D’ailleurs, rien ne dit que l’expérience menée par Renault à Appy n’a pas vu les habitants du bourg user de leur second véhicule, un questionnement légitime dans le cas d’une localité de montagne. Ne reste plus qu’à attendre une diversification de la gamme électrique avec des SUV, tout-terrains et autres transporteurs, de façon à coller aux besoins de ceux qui ne se satisferont pas d’une citadine.