Décarboner tout le secteur du fret est un défi de grande ampleur. Le grand nombre de véhicules qui composent la flotte des transporteurs routiers, la nature hétérogène des types de propriétaires (entre transporteurs indépendants et grands réseaux) ou encore la forte dépendance à l’égard du marché de l’occasion contribuent à la complexité du défi de la décarbonation.
Dans son étude « Decarbonising Road Freight : SHELL’S ROUTE AHEAD », la compagnie pétrolière néerlandaise Shell évoque les obstacles majeurs pour décarboner le secteur. Au travers du témoignage de plus de 150 experts du secteur – de la logistique en passant par des constructeurs de camions – il ressort trois grandes limites actuelles à la décarbonation du fret.
- Un accès insuffisant aux infrastructures de recharge de l’hydrogène et des batteries ;
- Des incitations financières inadéquates qui empêchent l’adoption de technologies à zéro émission ;
- Une absence de demande de fret routier à faibles émissions de la part des transporteurs.
À cela s’ajoute une ultime limite : il n’y a pas à ce jour de technologie viable pour des poids lourds tout électriques.
Pourtant, la décarbonation du fret routier est proche d’un point d’inflexion. Pourquoi ? La pression politique croissante en matière de réduction des émissions de polluants va amener à une transformation forcée.
Cette pression politique conjuguée aux efforts réalisés par certains pionniers pourraient débloquer la situation et faire sauter les verrous de la décarbonation. « On remarque un réel sentiment d’optimisme de la part des acteurs du domaine, peut-on lire dans l’étude Shell. Cet optimisme se traduit par des engagements audacieux pris par les entreprises et les politiques du monde entier, à l’image du plan de neutralité climatique de l’Union européenne pour 2050 ou de celui de la Chine pour 2060 ».
Des solutions multiples, un objectif unique
Si l’optimisme est là, comment traduire concrètement par des actions de terrain le passage à un transport zéro émission ?
Dans son rapport « Comment décarboner le fret français d’ici 2050 ? » de 2020, Transport & Environment dessine une solution. « Les véhicules à batteries électriques (BEV) en général, et ceux utilisant une infrastructure de caténaires suspendues (OC-BEV) en particulier, représentent les solutions les plus rentables pour atteindre un niveau zéro d’émissions de gaz à effet de serre (GES) en France d’ici 2050 ». Pour le segment des véhicules commerciaux avec un PTAC inférieur à 26 tonnes, l’électrification se révèle la « solution la plus rentable », selon l’organisme.
Et pour les camions de livraison longue distance dont le tonnage est supérieur (PTAC de 26 à 44 tonnes) ? Les solutions sont multiples. Transport & Environment confie qu’il est « moins facile de prédire quelle technologie de la chaîne de traction l’emportera dans le secteur des tracteurs longue distance ».
Des camions hybrides
L’électrification directe (hybridation), comme on le voit déjà sur les véhicules particuliers, est possible grâce à des coûts de fabrication pour les batteries en baisse. Les prix nets des batteries ont atteint une moyenne pondérée en fonction du volume de 143 €/kWh en 2019, soit une baisse de 87 % depuis 2010. L’hybride est accessible, rapidement.
Des camions électriques
L’électrification avec des batteries (camions 100% électriques) semble plus complexe, une grande batterie étant nécessaire pour satisfaire à l’autonomie journalière minimale requise pour du transport longue distance. Tout dépendra de l’évolution de la technologie et notamment de la densité énergétique des blocs-piles. Certains scénarii prévoient d’atteindre 318 Wh/kg en 2030 et 508 Wh/kg en 2050. Des chiffres qui pourraient permettre de réduire le surpoids lié aux batteries sur les camions de 6,6 tonnes actuellement à 3,8 tonnes en 2030 et 2,4 tonnes en 2050 !
Des camions à hydrogène
L’hydrogène ? Avec un très bon rendement, un temps de ravitaillement court, aucune émission de polluants et une grande autonomie, il s’agit de la solution qui semble la plus adaptée au fret. Mais des problèmes de coût se posent, notamment pour atteindre une densité énergétique pertinente. D’autre part, c’est aussi la méthode de production de l’hydrogène qui doit être prise en compte pour évaluer sa pertinence. Aujourd’hui, sa production est majoritairement issue de gaz fossile par reformage du méthane à la vapeur. La décarbonation du fret avec de l’hydrogène ne pourra se faire qu’en utilisant de l’hydrogène vert (produit à partir d’énergies renouvelables) ou de l’hydrogène bleu, reposant sur des technologies encore en cours de développement.
Des routes électriques
Les systèmes de routes électriques (ERS) avec des caténaires suspendues sur certaines portions pourrait apporter une alternative à la recharge statique classique. Problème, il faut développer des infrastructures complexes et coûteuses, avec une nécessaire harmonisation entre plusieurs pays pour un déploiement coordonné.
Au-delà de l’évolution technologique et de la pression politique, le secteur du fret va devoir gérer d’autres freins qui ralentissent sa décarbonation. Comme le souligne la Fédération Nationale du Transport Routier (FNTR), d’autres problématiques sont aujourd’hui au cœur de la résistance au changement. C’est le cas par exemple de la pénurie de conducteurs ou de l’indisponibilité des nouveaux véhicules (même thermiques, dont les délais d’attente dépassent un an). Il existe également un besoin d’information pour les décideurs et de formation pour les conducteurs afin de comprendre l’autonomie quotidienne permise par les nouvelles technologies, le coût du carburant, et le coût d’exploitation à attendre d’un parc zéro carbone. Nous sommes à l’aube d’un changement, d’un point de bascule qui se rapproche