En tant que premier opérateur d’autoroutes concédées en France et en Europe, VINCI Autoroutes joue un rôle d’acteur pivot dans la décarbonation de l’industrie de l’automobile et de la route. Blaise Rapior, directeur général adjoint de VINCI Autoroutes France, développe les stratégies mises en place par l’entreprise pour faire face à ce défi.
Où en est le secteur de la route en termes de décarbonation ?
Au niveau français, les émissions liées au secteur du transport représentent un tiers des émissions de gaz à effets de serre du pays, et ce chiffre n’a pas baissé depuis les années 1990. Et ces émissions sont dues à 94% à la mobilité routière. Ca n’est pas étonnant, puisqu’en France on se déplace encore aujourd’hui à 85% par la route, que ce soit pour la mobilité personnelle ou pour le transport de marchandise.
Si on regarde les projections de l’État à travers les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone, on voit que les parts modales de la route à l’horizon 2050 demeurent entre 70 et 80%. Donc en 2050, lorsque nous aurons atteint nos objectifs de neutralité carbone, on devrait encore se déplacer à 75% par la route ! Conclusion : c’est l’endroit où il faut faire un gros effort pour décarboner. Nous avons donc de nombreuses solutions à inventer.
Où se situent les marges de réduction des émissions, pour VINCI Autoroutes et les autres opérateurs autoroutiers ?
En tant qu’opérateur, le segment sur lequel nous avons le plus de contrôle est l’impact des matériaux utilisés et de nos chantiers. C’est simple : le béton utilisé pour construire nos routes est constitué de ciment produit par des fours, qui consomment de l’énergie et donc émettent du CO2. On emploie aussi des matériaux bitumineux qui nécessitent beaucoup d’énergie.
Actuellement, la R&D (recherche et développement, ndlr) avance beaucoup sur la production de béton bas carbone. Certaines entreprises sont déjà en capacité de fournir ces matériaux bas carbone ou très bas carbone. L’enjeu est désormais de repousser la limite du kilo de CO2 émis par kilo de ciment, et d’être capable de développer cette filière à l’échelle industrielle, pour qu’elle puisse fournir les volumes de béton nécessaire à notre utilisation annuelle.
C’est la même logique du côté des enrobés, qui recouvrent les routes. Nous travaillons sur des techniques de production à froid, qui permettent de réduire l’usage d’énergie. Mais pour l’instant ces techniques sont applicables sur des surfaces limitées, comme sur des travaux de rénovation ponctuelle de chaussée. Nous avons encore une belle marge de progression.
Nous pouvons aussi jouer sur le type de combustibles que nous utilisons pour alimenter les fours qui produisent nos matériaux. Le gaz a été pour nous une solution de transition pendant un moment, puisqu’il pollue moins. Mais aujourd’hui il n’est plus une solution d’avenir, à cause de son prix qui augmente au vu de la conjoncture internationale, mais aussi parce qu’il ne permet pas de supprimer complètement les émissions de CO2. Nous avons donc décidé de nous tourner davantage vers les carburants de synthèse et de récupération, que nous testons pour l’instant de manière expérimentale.
Existe-t-il d’autres leviers pour optimiser l’impact carbone de vos chantiers ?
Le second levier pour nous est celui de l’économie circulaire, c’est-à-dire du recyclage de nos matériaux usagers. Aujourd’hui nous sommes en capacité de réutiliser environ 40% des matériaux qui sont réutilisés lorsque que l’on gratte la couche supérieure de la chaussée. Cela nécessite cependant parfois d’encore les réchauffer, pour les débarrasser de la partie bitumière, ce qui a aussi des impacts climatiques. Il faut donc trouver le juste équilibre entre recycler, et provoquer davantage d’émissions.
L’idée c’est à terme est que l’on puisse réutiliser la totalité de ces matériaux usagés sur nos autres chantiers, ou ailleurs. Nous travaillons pour cela avec plusieurs fournisseurs externes, pour créer des filières de réemploi. Les matériaux sont alors rachetés par des entreprises de travaux spécialisées dans les chaussées.
Il est de plus en plus difficile d’extraire des ressources nouvelles, d’ouvrir de nouvelles carrières par exemple, et les gisements actuels s’épuisent. Il y a donc un intérêt collectif de la filière à développer ensemble cette économie circulaire dans le secteur des travaux publics, car cela règle le problème de la ressource.
Pour construire une route, il faut aussi transporter les matériaux par la route…
Oui, le dernier levier que nous avons identifié est celui des transports. Nous avons récemment mené un chantier expérimental “zéro émission” sur l’A89. On a alors réalisé qu’une part non-négligeable de la pollution émise est issue du transport des matériaux, depuis la centrale de production jusqu’au chantier. On a donc construit une stratégie avec nos entreprises partenaires pour réduire les trajets et optimiser les déplacements. Cela abaisse aussi les coûts de l’entreprise.
Avec tous ces outils, nous nous engageons aujourd’hui à une baisse globale d’émissions indirectes – c’est-à-dire sur nos chantiers mais aussi sur les émissions de nos usagers – de moins 10% à horizon 2030. Cela représente pour nous un objectif à la fois ambitieux et raisonnable, avant l’échéance de 2050.